La problématique des droits de succession est un sujet délicat pour tout entrepreneur envisageant de transmettre à ses héritiers le travail d’une vie.
Un dispositif spécifique du droit fiscal français, dit « régime Dutreil », permet cependant d’opérer une telle transmission, par voie de donation ou de succession, en bénéficiant d’un abattement de 75 % de la valeur des parts sociales ou actions d’une société.
La conclusion d’un « pacte Dutreil » ouvre donc droit à un abattement de 75 % de l’assiette des droits de donation ou de succession.
L’article 787 B du Code général des impôts soumet néanmoins le bénéfice d’un tel régime fiscal à certaines conditions, parmi lesquelles la nature de l’activité transmise, le « régime Dutreil » étant en effet réservé aux sociétés « ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale » (sauf à être filiales de holdings animatrices), à l’exclusion, précise l’Administration fiscale dans sa doctrine, « des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier ».
Précisant que pour l’application de ce régime de faveur, une activité commerciale s’entend des activités visées aux articles 34 et 35 du Code général des impôts, et donc des activités relevant de la qualification fiscale des bénéfices industriels et commerciaux, l’Administration écartait expressément du bénéfice du régime Dutreil :
« – les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ;
– les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation ».
Il en résulte ainsi une distinction franche entre les activités économiques, soit les véritables « entreprises » dotées d’une activité opérationnelle, éligibles au dispositif Dutreil, et les activités de pure gestion de patrimoine immobilier, inéligibles au dispositif Dutreil.
Deux décisions viennent cependant d’être rendues par les deux cours suprêmes françaises, lesquelles ont semble-t-il pris position sur la notion d’activité commerciale au sens du régime Dutreil, et élargi dans le même temps le champ des activités économiques y ouvrant droit.
La Cour de cassation, d’abord, par une décision en date du 1er juin dernier, a paru admettre l’application du régime fiscal Dutreil aux transmissions de sociétés ayant une activité de location d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation, jugeant qu’une telle activité méritait la qualification d’activité commerciale (Cass., ch. com., 1er juin 2023, n° 22-15.152).
Cette prise de position s’explique, selon certains commentateurs, par le fait qu’une activité de mise à disposition de centres commerciaux ou industriels suppose nécessairement la mise en œuvre de moyens humains, financiers et matériels importants, dont il résulte que cette activité n’est plus seulement une activité de gestion patrimoniale, mais bien une activité opérationnelle.
La Cour de cassation juge ainsi illégale la position retenue par l’Administration fiscale dans sa doctrine, pour avoir ajouté à la loi fiscale en instituant une restriction non prévue par le législateur concernant les loueurs d’établissements commerciaux ou industriels équipés.
Dernièrement, c’est le Conseil d’Etat qui a franchi un nouveau cap aux termes d’une décision rendue le 29 septembre 2023, en annulant la doctrine administrative qui excluait du dispositif fiscal Dutreil toutes locations meublées à usage d’habitation (CE, 8e et 3e ch., 29 septembre 2023, n° 473972).
Le raisonnement du Conseil d’Etat diverge certes de celui appliqué par la Cour de cassation trois mois plus tôt, puisqu’il ne fait plus référence au texte des articles 34 et 35 du Code général des impôts, mais seulement au critère de l’exercice à titre habituel de l’activité.
Le Conseil d’Etat considère ainsi que la location meublée n’est plus une activité de pure gestion patrimoniale, mais bien une activité commerciale, si elle est exercée de façon habituelle.
Les sociétés ayant pour objet la location meublée à usage d’habitation peuvent donc elles aussi, a priori, être transmises sous le bénéfice du dispositif Dutreil.
La prudence reste néanmoins de mise à double titre. D’abord parce que la Cour de cassation n’a pas publié sa décision du 1er juin dernier au Bulletin, sorte de registre où elle recense les arrêts auxquels elle souhaite donner une importance particulière. Il en résulte qu’elle n’a donc pas souhaité conférer à cette décision une portée de principe.
Surtout, la fin d’année coïncide avec la préparation des lois de finances, de sorte qu’il n’est pas à exclure que le législateur fiscal, en réaction à ces décisions, se saisisse de cette question de l’éligibilité au régime Dutreil des locations meublées ou équipées pour écarter ou limiter cette jurisprudence favorable au contribuable. Réponse fin décembre 2023.
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